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LA CRÈTE.

dits civilisés ? Qu’est-ce qu’ils attendent ? Ils chuchotent : Patience, nous négocions.

Vous négociez ! Pendant ce temps-là on arrache les oliviers et les châtaigniers, on démolit les moulins à huile, on incendie les villages, on brûle les récoltes, on envoie des populations entières mourir de faim et de froid dans la montagne, on décapite les maris, on pend les vieillards, et un soldat turc, qui voit un petit enfant gisant à terre, lui enfonce dans les narines une chandelle allumée pour s’assurer s’il est mort. C’est ainsi que cinq blessés ont été, à Arcadion, réveillés pour être égorgés.

Patience ! dites-vous. Pendant ce temps-là les turcs entrent au village Mourniès, où il ne reste que des femmes et des enfants, et, quand ils en sortent, on ne voit plus qu’un monceau de ruines croulant sur un monceau de cadavres, grands et petits.

Et l’opinion publique ? que fait-elle ? que dit-elle ? Rien. Elle est tournée d’un autre côté. Que voulez-vous ? Ces catastrophes ont un malheur ; elles ne sont pas à la mode.

Hélas !

La politique patiente des gouvernements se résume en deux résultats : déni de justice à la Grèce, déni de pitié à l’humanité.

Rois, un mot sauverait ce peuple. Un mot de l’Europe est vite dit. Dites-le. À quoi êtes-vous bons, si ce n’est à cela ?

Non. On se tait, et l’on veut que tout se taise. Défense de parler de la Crète. Tel est l’expédient. Six ou sept grandes puissances conspirent contre un petit peuple. Quelle est cette conspiration ? La plus lâche de toutes. La conspiration du silence.

Mais le tonnerre n’en est pas.

Le tonnerre vient de là-haut, et, en langue politique, le tonnerre s’appelle révolution.

Victor Hugo