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PENDANT L’EXIL. — 1869.

flanc ; cette plaie était la misère des autres ; ce n’était pas du sang qui coulait de cette plaie, c’était de l’or ; or qui sortait d’un cœur.

Sur cette terre il y a les hommes de la haine et il y a les hommes de l’amour, Peabody fut un de ceux-ci. C’est sur le visage de ces hommes que nous voyons le sourire de Dieu. Quelle loi pratiquent-ils ? Une seule, la loi de fraternité — loi divine, loi humaine, qui varie les secours selon les détresses, qui ici donne des préceptes, et qui là donne des millions, qui trace à travers les siècles dans nos ténèbres une traînée de lumière, et qui va de Jésus pauvre à Peabody riche.

Que Peabody s’en retourne chez vous, béni par nous ! Notre monde l’envie au vôtre. La patrie gardera sa cendre et nos cœurs sa mémoire. Que l’immensité émue des mers vous le rapporte ! Le libre pavillon américain ne déploiera jamais assez d’étoiles au-dessus de ce cercueil.

Rapprochement que je ne puis m’empêcher de faire, il y a aujourd’hui juste dix ans, le 2 décembre 1859, j’adressais, suppliant, isolé, une prière pour le condamné d’Harper’s Ferry à l’illustre nation américaine ; aujourd’hui, c’est une glorification que je lui adresse. Depuis 1859, de grands événements se sont accomplis, la servitude a été abolie en Amérique ; espérons que la misère, cette autre servitude, sera aussi abolie un jour et dans le monde entier ; et, en attendant que le second progrès vienne compléter le premier, vénérons-en les deux apôtres, en accouplant dans une même pensée de reconnaissance et de respect John Brown, l’ami des esclaves, à George Peabody, l’ami des pauvres.

Je vous serre la main, monsieur.

Victor Hugo.
À M. le colonel Berton,

président du comité américain de Londres.