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LUCRÈCE BORGIA

GEORGE SAND À VICTOR HUGO

Mon grand ami, je sors de la représentation de Lucrèce Borgia, le cœur tout rempli d’émotion et de joie. J’ai encore dans la pensée toutes ces scènes poignantes, tous ces mots charmants ou terribles, le sourire amer d’Alfonse d’Este, l’arrêt effrayant de Gennaro, le cri maternel de Lucrèce ; j’ai dans les oreilles les acclamations de cette foule qui criait : « Vive Victor Hugo ! » et qui vous appelait, hélas ! comme si vous alliez venir, comme si vous pouviez l’entendre.

On ne peut pas dire, quand on parle d’une œuvre consacrée telle que Lucrèce Borgia : le drame a eu un immense succès ; mais je dirai : vous avez eu un magnifique triomphe. Vos amis du Rappel, qui sont mes amis, me demandent si je veux être la première à vous donner la nouvelle de ce triomphe. Je le crois bien que je le veux ! Que cette lettre vous porte donc, cher absent, l’écho de cette belle soirée.

Cette soirée m’en a rappelé une autre, non moins belle. Vous ne savez pas que j’assistais à la première représentation de Lucrèce Borgia, — il y a aujourd’hui, me dit-on, trente-sept ans, jour pour jour.

Je me souviens que j’étais au balcon, et le hasard m’avait placée à côté de Bocage que je voyais ce jour-là pour la première fois. Nous étions, lui et moi, des étrangers l’un