Page:Hugo - Actes et paroles - volume 4.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
LUCRÈCE BORGIA.

rouche, dans la scène où Gennaro est exécuteur et juge.

Brésil, admirablement costumé en faux hidalgo, a une grande allure dans le personnage méphistophélique de Gubetta.

Les cinq jeunes seigneurs, — que des artistes de réelle valeur, Charles Lemaître en tête, ont tenu à honneur de jouer, — avaient l’air d’être descendus de quelque toile de Giorgione ou de Bonifazio.

La mise en scène est d’une exactitude, c’est-à-dire d’une richesse qui fait revivre à souhait pour le plaisir des yeux toute cette splendide Italie de la Renaissance. M. Raphaël Félix vous a traité — bien plus que royalement — artistement.

Mais — il ne m’en voudra pas de vous le dire — il y a quelqu’un qui vous a fêté encore mieux que lui, c’est le public, ou plutôt le peuple.

Quelle ovation à votre nom et à votre œuvre !

J’étais toute heureuse et fière pour vous de cette juste et légitime ovation. Vous la méritez cent fois, cher grand ami. Je n’entends pas louer ici votre puissance et votre génie, mais on peut vous remercier d’être le bon ouvrier et l’infatigable travailleur que vous êtes.

Quand on pense à ce que vous aviez fait déjà en 1833 ! Vous aviez renouvelé l’ode ; vous aviez, dans la préface de Cromwell, donné le mot d’ordre à la révolution dramatique ; vous aviez le premier révélé l’Orient dans les Orientales, le moyen âge dans Notre-Dame de Paris.

Et, depuis, que d’œuvres et que de chefs-d’œuvre ! que d’idées remuées, que de formes inventées ! que de tentatives, d’audaces et de découvertes !

Et vous ne vous reposez pas ! Vous saviez hier là-bas à Guernesey qu’on reprenait Lucrèce Borgia à Paris, vous avez causé doucement et paisiblement des chances de cette représentation, puis à dix heures, au moment où toute la salle rappelait Mélingue et Mme Laurent après le troisième acte, vous vous endormiez afin de pouvoir vous lever selon votre habitude à la première heure, et on me dit que dans le même instant où j’achève cette lettre, vous allumez votre lampe, et vous vous remettez tranquille à votre œuvre commencée.

George Sand