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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 4.djvu/22

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PENDANT L’EXIL. — 1862.

praticables, on voit leurs précipices, on voit leurs issues, on peut les aborder, on peut y pénétrer. Abordés et pénétrés, c’est-à-dire résolus, ils sauveront le monde. Sans la presse, nuit profonde ; tous ces problèmes sont sur-le-champ redoutables, on ne distingue plus que leurs escarpements, on peut en manquer l’entrée, et la société peut y sombrer. Eteignez le phare, le port devient l’écueil.

Messieurs, avec la presse libre, pas d’erreur possible, pas de vacillation, pas de tâtonnement dans la marche humaine. Au milieu des problèmes sociaux, ces sombres carrefours, la presse est le doigt indicateur. Nulle incertitude. Allez à l’idéal, allez à la justice et à la vérité. Car il ne suffit pas de marcher, il faut marcher en avant. Dans quel sens allez-vous ? Là est toute la question. Simuler le mouvement, ce n’est point accomplir le progrès ; marquer le pas sans avancer, cela est bon pour l’obéissance passive ; piétiner indéfiniment dans l’ornière est un mouvement machinal indigne du genre humain. Ayons un but, sachons où nous allons, proportionnons l’effort au résultat, et que dans chacun des pas que nous faisons il y ait une idée, et qu’un pas s’enchaîne logiquement à l’autre, et qu’après l’idée vienne la solution, et qu’à la suite du droit vienne la victoire. Jamais de pas en arrière. L’indécision du mouvement dénonce le vide du cerveau. Vouloir et ne vouloir pas, quoi de plus misérable ! Qui hésite, recule et atermoie, ne pense pas. Quant à moi, je n’admets pas plus la politique sans tête que l’Italie sans Rome.

Puisque j’ai prononcé ce mot, Rome, souffrez que je m’interrompe, et que ma pensée, détournée un instant, aille à ce vaillant qui est là-bas sur un lit de douleur. Certes, il a raison de sourire. La gloire et le droit sont avec lui. Ce qui confond, ce qui accable, c’est qu’il se soit trouvé, c’est qu’il ait pu se trouver en Italie, dans cette noble et illustre Italie, des hommes pour lever l’épée contre cette vertu. Ces italiens-là n’ont donc pas reconnu un romain ?

Ces hommes se disent les hommes de l’Italie ; ils crient qu’elle est victorieuse, et ils ne s’aperçoivent pas qu’elle est décapitée. Ah ! c’est là une sombre aventure, et l’histoire reculera indignée devant cette hideuse victoire qui consiste à tuer Garibaldi afin de ne pas avoir Rome !