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GENÈVE ET LA PEINE DE MORT

tombe. Le penseur, à qui certains phénomènes de l’inconnu sont perceptibles, sent tressaillir la prodigieuse obscurité. Ô hommes, qu’avez-vous fait ? qui donc connaît les frissons de l’ombre ? où va cette âme ? que savez-vous ?

Il y a près de Paris un champ hideux, Clamart. C’est le lieu des fosses maudites ; c’est le rendez-vous des suppliciés ; pas un squelette n’est là avec sa tête. Et la société humaine dort tranquille à côté de cela ! Qu’il y ait sur la terre des cimetières faits par Dieu, cela ne nous regarde pas, et Dieu sait pourquoi. Mais peut-on songer sans horreur à ceci, à un cimetière fait par l’homme !

Non, ne nous lassons pas de répéter ce cri : Plus d’échafaud ! mort à la mort !

C’est à un certain respect mystérieux de la vie qu’on reconnaît l’homme qui pense.

Je sais bien que les philosophes sont des songe-creux. — Â qui en veulent-ils ? Vraiment, ils prétendent abolir la peine de mort ! Ils disent que la peine de mort est un deuil pour l’humanité. Un deuil ! qu’ils aillent donc un peu voir la foule rire autour de l’échafaud ! qu’ils rentrent donc dans la réalité ! Où ils affirment le deuil, nous constatons le rire. Ces gens-là sont dans les nuages. Ils crient à la sauvagerie et à la barbarie parce qu’on pend un homme et qu’on coupe une tête de temps en temps. Voilà des rêveurs ! Pas de peine de mort, y pense-t-on ? peut-on rien imaginer de plus extravagant ? Quoi ! plus d’échafaud, et en même temps, plus de guerre ! ne plus tuer personne, je vous demande un peu si cela a du bon sens ! qui nous délivrera des philosophes ? quand aura-t-on fini des systèmes, des théories, des impossibilités et des folies ? Folies au nom de quoi, je vous prie ? au nom du progrès ? mot vide ; au nom de l’idéal ? mot sonore. Plus de bourreau, où en serions-nous ? Une société n’ayant pas la mort pour code, quelle chimère ! La vie, quelle utopie ! Qu’est-ce que tous ces faiseurs de réformes ? des poëtes. Gardons-nous des poëtes. Ce qu’il faut au genre humain, ce n’est pas Homère, c’est M. Fulchiron.

Il ferait beau voir une société menée et une civilisation conduite par Eschyle, Sophocle, Isaïe, Job, Pythagore, Pindare, Plaute, Lucrèce, Virgile, Juvénal, Dante, Cervan-