Page:Hugo - Actes et paroles - volume 4.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
LES RUES ET MAISONS DU VIEUX BLOIS.

fontaine de Louis XII m’a arrêté longtemps. Vous l’avez reproduite comme je l’ai vue, toute vieille, toute jeune, charmante. C’est une de vos meilleures planches. Je crois bien que la Rouennerie en gros, constatée par vous vis-à-vis l’hôtel d’Amboise, était déjà là de mon temps. Vous avez un talent vrai et fin, le coup d’œil qui saisit le style, la touche ferme, agile et forte, beaucoup d’esprit dans le burin et beaucoup de naïveté, et ce don rare de la lumière dans l’ombre. Ce qui me frappe et me charme dans vos eaux-fortes, c’est le grand jour, la gaîté, l’aspect souriant, cette joie du commencement qui est toute la grâce du matin. Des planches semblent baignées d’aurore. C’est bien là Blois, mon Blois à moi, ma ville lumineuse. Car la première impression de l’arrivée m’est restée. Blois est pour moi radieux. Je ne vois Blois que dans le soleil levant. Ce sont là des effets de jeunesse et de patrie.

Je me suis laissé aller à causer longuement avec vous, monsieur, parce que vous m’avez fait plaisir. Vous m’avez pris par mon faible, vous avez touché le coin sacré des souvenirs. J’ai quelquefois de la tristesse amère, vous m’avez donné de la tristesse douce. Être doucement triste, c’est là le plaisir. Je vous en suis reconnaissant. Je suis heureux qu’elle soit si bien conservée, si peu défaite, et si pareille encore à ce que je l’ai vue il y a quarante ans, cette ville à laquelle m’attache cet invisible écheveau des fils de l’âme, impossible à rompre, ce Blois qui m’a vu adolescent, ce Blois où les rues me connaissent, où une maison m’a aimé, et où je viens de me promener en votre compagnie, cherchant les cheveux blancs de mon père et trouvant les miens.

Je vous serre la main, monsieur.

Victor Hugo