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NOTES.

Cela me repose. Je me trompe en disant que je n’interromps jamais. Une fois dans ma vie j’ai interrompu un ministre ; M. Léon Faucher, je crois, était à la tribune. C’était en 1849, il faisait l’éloge du roi de Naples, et je lui criai : — Le roi de Naples est un monstre. — Ce mot a fait le tour de l’Italie et n’a évidemment pas nui à la chute des Bourbons de Naples. L’interruption peut donc être bonne.

J’admets l’interruption. Je l’admets pleinement. J’admets que l’orateur soit vieux et que l’interrupteur soit jeune, j’admets que l’orateur ait des cheveux blancs et que l’interrupteur n’ait pas même de barbe au menton, j’admets que l’orateur soit vénérable et que l’interrupteur soit ridicule. J’admets qu’on dise à Caton : Vous êtes un lâche. J’admets qu’on dise à Tacite : Vous mentez. J’admets qu’on dise à Molière ou à Voltaire : Vous ne savez pas le français. J’admets qu’un homme de l’empire insulte un homme de l’exil. Écoutez, je vais vous dire, en fait d’injures, j’admets tout. Je vais loin, comme vous voyez. Mais, en fait de servitude, je n’admets rien. Je n’admets pas que la tribune soit supprimée par l’interruption. Opprimée oui, supprimée non. Là commence ma résistance. Je n’admets pas que la liberté inférieure abolisse la liberté supérieure. Je n’admets pas que celui qui crie bâillonne celui qui pense ; criez tant que vous voudrez, mais laissez-moi parler. Je n’admets pas que l’orateur soit l’esclave de l’interrupteur. Or, voici en quoi consiste l’esclavage de l’orateur ; c’est en ceci seulement : ne pouvoir dire sa pensée. Vous m’appelez calomniateur. Que m’importe, si vous me laissez dire ce que vous appelez ma calomnie. Ma liberté, c’est ma dignité. Frappe, mais écoute. Insultez-moi, mais laissez-moi libre. Or, le 17 juillet 1851, j’ai pu dénoncer et menacer Bonaparte, et le 8 mars 1871, je n’ai pu défendre Garibaldi. Cela, je ne l’admets pas. Je ne consens pas à cette dérision : avoir la parole et avoir un bâillon. Être à la tribune et être au bagne. Vouloir obéir à sa conscience, et ne pouvoir qu’obéir à la majorité. On n’obtiendra pas de moi cette bassesse, et je m’en vais.

En dehors de cette question de principes qui me commande ma démission, je le répète, je n’en veux pas à l’As-