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PARIS ET ROME.

et toutes les chaînes qu’elle ôte au corps, elle les ajoute à la conscience ; dans la conscience, le droit se retourne et devient devoir. Prenons garde à ce que nous faisons ; nous vivons dans des temps exigeants. Nous répondons à la fois de ce qui fut et de ce qui sera. Nous avons derrière nous ce qu’ont fait nos pères et devant nous ce que feront nos enfants. Or à nos pères nous devons compte de leur tradition et à nos enfants de leur itinéraire. Nous devons être les continuateurs résolus des uns et les guides prudents des autres. Il serait puéril de se dissimuler qu’un profond travail se fait dans les institutions humaines et que des transformations sociales se préparent. Tâchons que ces transformations soient calmes et s’accomplissent, dans ce qu’on appelle (à tort, selon moi) le haut et le bas de la société, avec un fraternel sentiment d’acceptation réciproque. Remplaçons les commotions par les concessions. C’est ainsi que la civilisation avance. Le progrès n’est autre chose que la révolution faite à l’amiable.

Donc, législateurs et citoyens, redoublons de sagesse, c’est-à-dire de bienveillance. Guérissons les blessures, éteignons les animosités ; en supprimant la haine nous supprimons la guerre ; que pas une tempête ne soit de notre faute. Quatrevingt-neuf a été une colère utile. Quatrevingt-treize a été une fureur nécessaire ; mais il n’y a plus désormais ni utilité ni nécessité aux violences ; toute accélération de circulation serait maintenant un trouble ; ôtons aux fureurs et aux colères leur raison d’être ; ne laissons couver aucun ferment terrible. C’est déjà bien assez d’entrer dans l’inconnu ! Je suis de ceux qui espèrent dans cet inconnu, mais à la condition que nous y mêlerons dès à présent toute la quantité de pacification dont nous disposons. Agissons avec la bonté virile des forts. Songeons à ce qui est fait et à ce qui reste à faire. Tâchons d’arriver en pente douce là où nous devons arriver ; calmons les peuples par la paix, les hommes par la fraternité, les intérêts par l’équilibre. N’oublions jamais que nous sommes