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AU CONGRÈS DE LA PAIX.

Pour pacifier, il faut apaiser ; pour apaiser, il faut satisfaire. La fraternité n’est pas un fait de surface. La paix n’est pas une superposition.

La paix est une résultante. On ne décrète pas plus la paix qu’on ne décrète l’aurore. Quand la conscience humaine se sent en équilibre avec la réalité sociale ; quand le morcellement des peuples a fait place à l’unité des continents ; quand l’empiétement appelé conquête et l’usurpation appelée royauté ont disparu ; quand aucune morsure n’est faite, soit à un individu, soit à une nationalité, par aucun voisinage ; quand le pauvre comprend la nécessité du travail et quand le riche en comprend la majesté ; quand le côté matière de l’homme se subordonne au côté esprit ; quand l’appétit se laisse museler par la raison ; quand à la vieille loi, prendre, succède la nouvelle loi, comprendre ; quand la fraternité entre les âmes s’appuie sur l’harmonie entre les sexes ; quand le père est respecté par l’enfant et quand l’enfant est vénéré par le père ; quand il n’y a plus d’autre autorité que l’auteur ; quand aucun homme ne peut dire à aucun homme : Tu es mon bétail ; quand le pasteur fait place au docteur, et la bergerie (qui dit bergerie dit boucherie) à l’école ; quand il y a identité entre l’honnêteté politique et l’honnêteté sociale ; quand un Bonaparte n’est pas plus possible en haut qu’un Troppmann en bas ; quand le prêtre se sent juge et quand le juge se sent prêtre, c’est-à-dire quand la religion est intègre et quand la justice est vraie ; quand les frontières s’effacent entre une nation et une nation, et se rétablissent entre le bien et le mal ; quand chaque homme se fait de sa propre probité une sorte de patrie intérieure ; alors, de la même façon que le jour se fait, la paix se fait ; le jour par le lever de l’astre, la paix par l’ascension du droit.

Tel est l’avenir. Je le salue.

Victor Hugo.
Paris, 9 septembre 1875.