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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

enduré vingt ans ; l’empoisonnement avait eu le temps de réussir. Un jour, il y a cinq années de cela, jugeant l’heure favorable, estimant que le 2 Décembre devait avoir achevé son œuvre d’abaissement, les ennemis violèrent la France prise au piège, et, après avoir soufflé sur l’empire qui disparut, se ruèrent sur Paris. Ils croyaient rencontrer Sodome. Ils trouvèrent Sparte. Quelle Sparte ? Une Sparte de deux millions d’hommes ; un prodige ; ce que l’histoire n’avait jamais vu ; Babylone ayant l’héroïsme de Saragosse. Un investissement sauvage, le bombardement, toutes les brutalités vandales, Paris, cette commune qui vous parle en ce moment, ô communes de France, Paris a tout subi ; ces deux millions d’hommes ont montré à quel point la patrie est une âme, car ils ont été un seul cœur. Cinq mois d’un hiver polaire, que ces peuples du nord semblaient avoir amené avec eux, ont passé sur la résistance des parisiens sans la lasser. On avait froid, on avait faim, on était heureux de sentir qu’on sauvait l’honneur de la France et que le Paris de 1871 continuait le Paris de 1792 ; et, le jour où de faibles chefs militaires ont fait capituler Paris, toute autre ville eût poussé un cri de joie, Paris a poussé un cri de douleur.

Comment cette ville a-t-elle été récompensée ? Par tous les outrages. Aucun martyre n’a été épargné à la cité sublime. Qui dit martyre dit le supplice plus l’insulte. Elle seule avait désormais droit à l’Arc de Triomphe. C’est par l’Arc de Triomphe que la France, représentée par son assemblée, eût voulu rentrer dans Paris, tête nue. La France eût voulu s’honorer en honorant Paris. Le contraire a été fait. Je ne juge pas, je constate. L’avenir prononcera son verdict.

Quoi qu’il en soit, et sans insister, Paris a été méconnu. Paris, chose triste, a eu des ennemis ailleurs qu’à l’étranger. On a accablé de calomnies cette incomparable ville qui avait fait front dans le désastre, qui avait arrêté et déconcerté l’Allemagne, et qui, aidée par l’intrépide et