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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

il est destiné à laisser au sommet de son art un souvenir souverain.

Je salue et je remercie Frédérick-Lemaître. Je salue le prodigieux artiste ; je remercie mon fidèle et superbe auxiliaire dans ma longue vie de combat. Adieu, Frédérick-Lemaître !

Je salue en même temps, car votre émotion profonde, à vous tous qui êtes ici, m’emplit et me déborde moi-même, je salue ce peuple qui m’entoure et qui m’écoute. Je salue en ce peuple le grand Paris. Paris, quelque effort qu’on fasse pour l’amoindrir, reste la ville incomparable. Il a cette double qualité, d’être la ville de la révolution et d’être la ville de la civilisation, et il les tempère l’une par l’autre. Paris est comme une âme immense où tout peut tenir. Rien ne l’absorbe tout à fait, et il donne aux nations tous les spectacles. Hier il avait la fièvre des agitations politiques ; aujourd’hui le voilà tout entier à l’émotion littéraire. À l’heure la plus décisive et la plus grave, au milieu des préoccupations les plus sévères, il se dérange de sa haute et laborieuse pensée pour s’attendrir sur un grand artiste mort. Disons-le bien haut, d’une telle ville on doit tout espérer et ne rien craindre ; elle aura toujours en elle la mesure civilisatrice ; car elle a tous les dons et toutes les puissances. Paris est la seule cité sur la terre qui ait le don de transformation, qui, devant l’ennemi à repousser, sache être Sparte, qui devant le monde à dominer, sache être Rome, et qui, devant l’art et l’idéal à honorer, sache être Athènes. (Profonde sensation.)