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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

La justice ne voit que la faute, la clémence voit le coupable. À la justice, la faute apparaît dans une sorte d’isolement inexorable ; à la clémence, le coupable apparaît entouré d’innocents ; il a un père, une mère, une femme, des enfants, qui sont condamnés avec lui et qui subissent sa peine. Lui, il a le bagne ou l’exil ; eux, ils ont la misère. Ont-ils mérité le châtiment ? Non. L’endurent-ils ? Oui. Alors la clémence trouve la justice injuste. Elle s’interpose et elle fait grâce. La grâce, c’est la rectification sublime que fait à la justice d’en bas la justice d’en haut. (Mouvement.)

Messieurs, la clémence a raison.

Elle a raison dans l’ordre civil et social, et elle a plus raison encore dans l’ordre politique. Là, devant cette calamité, la guerre entre citoyens, la clémence n’est pas seulement utile, elle est nécessaire ; là, se sentant en présence d’une immense conscience troublée qui est la conscience publique, la clémence dépasse le pardon, et, je viens de le dire, elle va jusqu’à l’oubli. Messieurs, la guerre civile est une sorte de faute universelle. Qui a commencé ? Tout le monde et personne. De là cette nécessité, l’amnistie. Mot profond qui constate à la fois la défaillance de tous et la magnanimité de tous. Ce que l’amnistie a d’admirable et d’efficace, c’est qu’on y retrouve la solidarité humaine. C’est plus qu’un acte de souveraineté, c’est un acte de fraternité. C’est le démenti à la discorde. L’amnistie est la suprême extinction des colères, elle est la fin des guerres civiles. Pourquoi ? Parce qu’elle contient une sorte de pardon réciproque.

Je demande l’amnistie.

Je la demande dans un but de réconciliation.

Ici les objections se dressent devant moi ; ces objections sont presque des accusations. On me dit : Votre amnistie est immorale et inhumaine ! vous sapez l’ordre social ! vous vous faites l’apologiste des incendiaires et des assassins ! vous plaidez pour des attentats ! vous venez au secours des malfaiteurs !