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AUX RÉDACTEURS DU RAPPEL.

où nous sommes vainqueurs, n’ayons pas une modestie de vaincus. Ne jouons pas le jeu de l’ennemi. Faisons-lui front de toute notre lumière. Ne diminuons rien de ce grand siècle littéraire que la France ajoute fièrement à trois autres. Ce siècle a commencé avec splendeur, il continue avec éclat. Disons-le. Constatons, à l’honneur de notre pays, tous les succès, les nouveaux comme les anciens. Être bons confrères, c’est être bons patriotes.

En parlant ainsi à vous qui êtes de si nobles intelligences, je vais au-devant de votre pensée ; et, remarquez-le, en donnant ce conseil à tous les écrivains, je suis fidèle à l’habitude de ma vie entière. Jeune, dans une ode adressée à Lamartine, je disais :

Poëte, j’eus toujours un chant pour les poëtes ;
Et jamais le laurier qui pare d’autres têtes
N’a jeté d’ombre sur mon front.

Donc paix en littérature ! — Mais guerre en politique.

Désarmons où nous pouvons désarmer, pour mieux combattre là où le combat est nécessaire.

La république, en ce moment, est attaquée, chez elle, en France, par trois ou quatre monarchies ; tout le passé, passé royal, passé théocratique, passé militaire, prend corps à corps la Révolution. La Révolution vaincra, tôt ou tard. Tâchons que ce soit tôt. Luttons. N’est-ce pas quelque chose que d’avancer l’heure ?

De ce côté encore, relevons la France. France est synonyme de liberté. La Révolution victorieuse, ce sera la France victorieuse.

Ce qui met le plus la Révolution en danger, le phénomène artificiel, mais sérieux, qu’il faut surtout combattre, le grand péril, le vrai péril, je dirai presque le seul péril, le voici : c’est la victoire de la loi sur le droit. Grâce à ce funeste prodige, la Révolution peut être à la merci d’une assemblée. La légalité viciant par infiltration la vérité et la justice, cela se voit à cette heure presque dans tout.