Page:Hugo - Actes et paroles - volume 6.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
FUNÉRAILLES D’ALEXANDRE DUMAS.

Cet esprit était capable de tous les miracles, même de se léguer, même de se survivre. En partant, il a trouvé moyen de rester. Cet esprit, nous ne l’avons pas perdu. Vous l’avez.

Votre père est en vous, votre renommée continue sa gloire.

Alexandre Dumas et moi, nous avions été jeunes ensemble. Je l’aimais et il m’aimait. Alexandre Dumas n’était pas moins haut par le cœur que par l’esprit. C’était une grande âme bonne.

Je ne l’avais pas vu depuis 1857 ; il était venu s’asseoir à mon foyer de proscrit, à Guernesey, et nous nous étions donné rendez-vous dans l’avenir et dans la patrie.

En septembre 1870, le moment est venu, le devoir s’est transformé pour moi ; j’ai dû retourner en France.

Hélas ! le même coup de vent a des effets contraires.

Comme je rentrais dans Paris, Alexandre Dumas venait d’en sortir. Je n’ai pas eu son dernier serrement de main.

Aujourd’hui je manque à son dernier cortège. Mais son âme voit la mienne. Avant peu de jours, — bientôt je le pourrai, j’espère, — je ferai ce que je n’ai pu faire en ce moment, j’irai, solitaire, dans ce champ où il repose, et cette visite qu’il a faite à mon exil, je la rendrai à son tombeau.

Cher confrère, fils de mon ami, je vous embrasse.

Victor Hugo.