main qui voudrait la saisir ; elle s’envole d’âme en âme ; elle a ce don et cette force, — virum volitare per ora ; mais le livre est distinct de la pensée ; comme livre, il est saisissable, tellement saisissable qu’il est quelquefois saisi. (On rit.) Le livre, produit de l’imprimerie, appartient à l’industrie et détermine, sous toutes ses formes, un vaste mouvement commercial ; il se vend et s’achète ; il est une propriété, valeur créée et non acquise, richesse ajoutée par l’écrivain à la richesse nationale, et certes, à tous les points de vue, la plus incontestable des propriétés. Cette propriété inviolable, les gouvernements despotiques la violent ; ils confisquent le livre, espérant ainsi confisquer l’écrivain. De là le système des pensions royales. Prendre tout et rendre un peu. Spoliation et sujétion de l’écrivain. On le vole, puis on l’achète. Effort inutile, du reste. L’écrivain échappe. On le fait pauvre, il reste libre. (Applaudissements) Qui pourrait acheter ces consciences superbes, Rabelais, Molière, Pascal ? Mais la tentative n’en est pas moins faite, et le résultat est lugubre. La monarchie est on ne sait quelle succion terrible des forces vitales d’une nation ; les historiographes donnent aux rois les titres de « pères de la nation » et de « pères des lettres » ; tout se tient dans le funeste ensemble monarchique ; Dangeau, flatteur, le constate d’un côté ; Vauban, sévère, le constate de l’autre ; et, pour ce qu’on appelle « le grand siècle », par exemple, la façon dont les rois sont pères de la nation et pères des lettres aboutit à ces deux faits sinistres : le peuple sans pain, Corneille sans souliers. (Longs applaudissements)
Quelle sombre rature au grand règne !
Voilà où mène la confiscation de la propriété née du travail, soit que cette confiscation pèse sur le peuple, soit qu’elle pèse sur l’écrivain.
Messieurs, rentrons dans le principe : le respect de la propriété. Constatons la propriété littéraire, mais, en même temps, fondons le domaine public. Allons plus loin. Agran-