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NOTES.

champ de bataille : Hernani a l’aspect d’un combat étincelant sous le soleil de l’Espagne, dans quelque sierra désolée ; Ruy Blas ressemble au choc de deux escadrons farouches plus avides de donner la mort que de trouver la victoire ; les Burgraves ont la grandeur douloureuse et titanique des trilogies d’Eschyle. Cette puissance admirable dans la peinture des souffrances de l’humanité n’est qu’un des mérites du théâtre de Victor Hugo ; il en a un autre : le sentiment profond de la pitié ! Tous ces héros, tous ces vaincus de la fatalité, tous ces désespérés de la vie, tous ces martyrs, tous ces bourreaux mêmes ont sur leur visage un ruissellement de larmes qui tombe comme un torrent d’une montagne sombre. C’est pourquoi le poëte glorifie les uns et absout les autres. Il sait que tout crime est le germe d’un désespoir, que le poëte, ayant dans une main la justice, doit avoir dans l’autre la clémence et que, si Adam a pleuré sur Abel, Ève a pleuré sur Caïn !

C’est en cela que l’œuvre de Victor Hugo est à la fois terrible et touchante, et c’est pour cela qu’elle doit rester parmi les plus nobles et les plus hautes dont s’honore le génie humain.


DISCOURS DE M. JULES CLARETIE
au nom de la société des gens de lettres

Dans l’immense deuil de cette journée, le monde célèbre et pleure l’Immortel, la littérature française le Maître, la Société des gens de lettres le Père.

Aux hommages universels, qui changent ces funérailles en apothéose, notre famille littéraire apporte son pieux et respectueux souvenir. Les acclamations disent assez combien partout Victor Hugo est admiré : chez nous, il fut aimé. Quand il s’est agi, pour nous, de donner des canons à la défense nationale, de célébrer le centenaire d’un grand homme, de défendre pour l’écrivain le droit à la liberté et le droit à la vie, le grand poète nous apporta toujours l’autorité de sa parole et l’apostolat de son génie.

Oui, ce fut un apôtre avant tout, ce grand et incomparable homme de lettres qui, dans toute sa longue et glorieuse existence, n’eut jamais d’autre autorité officielle que celle qu’exerce la pensée, d’autre pouvoir que celui du livre, et qui gouverna l’esprit humain par la plume, comme d’autres — mieux que d’autres — par l’épée ou par le sceptre.

Il a dit de Paris que « sa fonction, c’est la dispersion de l’idée ».