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NOTES.

bien ; mais il fut bon, ce qui est mieux ! » Messieurs, Shakespeare a parlé quelque part des mamelles sublimes de la charité. De ce lait de la bonté humaine Victor Hugo s’était nourri, il en garda jusqu’à la fin l’héroïque douceur et, offrant au monde la manne de sa poésie, il réclama, de sa première ode à son dernier livre,

Avec le pain qu’il faut aux hommes,
Le baiser qu’il faut aux enfants !

Et maintenant il a laissé tomber sa tête puissante dans le dernier sommeil. Il a rejoint Homère, Eschyle, Dante, Rabelais, Isaïe, Tacite — ceux qu’il appelait des génie — Cervantes, Shakespeare, Corneille, Molière ; il a libre croyant, montré « l’évidence du surhumain sortant de l’homme » ; il a servi à la fois la poésie et le progrès, les lettres et les peuples « dans son ascension vers l’idéal » ; et, « libre dans l’art, libre dans le tombeau », il a, je cite ses paroles, « déployé dans la mort ces autres ailes qu’on ne voyait pas ».

Il n’avait demandé que le corbillard des pauvres. Le monde vient de lui faire des funérailles inoubliables, immortelles comme son œuvre. C’est comme de l’histoire de France qui vient de passer triomphalement à travers l’histoire de Paris. Cherchez parmi ces couronnes : il y en a une qui apporte au fils du défenseur de Thionville l’hommage des habitants de Thionville annexée. Et par une sorte de voie sacrée, de l’avenue qui porta le nom d’Eylau, où son oncle défendit le cimetière dans la neige, en passant par l’Arc de l’Étoile, où le nom de son père devrait être inscrit.

N’ajoutons rien, nous, gens de lettres, à cette réclamation. Rien -si ce n’est cette parole même que faisait entendre, il y a trente-cinq ans, sa grande voix sur le tombeau de Balzac : « Ce penseur, ce poëte, ce génie a vécu parmi nous de cette vie d’orages commune dans tous les temps à tous les grands hommes !… » Mais Victor Hugo n’avait pas attendu que la mort fut un avénement, et, dominant les partis, dominant les passions, continuant là-haut son rêve, il va briller désormais au-dessus de toutes ces poussières qui sont sous nos pas, « de toutes ces nuées qui sont sur nos têtes, parmi les étoiles de la patrie ! »

Victor Hugo a eu comme un cortège de monuments : les statues voilées de nos cités en deuil, la Colonne, Notre-Dame, le trophée et la cathédrale, le bronze et le granit qu’il a contresignés de sa griffe, et, là-haut, du fronton ciselé par le maître sculpteur de sa jeunesse, tombe le cri profond de tout un peuple : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ! »