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NOTES.

désastres, hélas ! Nous nous en souvenons, sans pouvoir l’oublier ! Et pourtant, au milieu de ces désastres, quand, sous le coup de ses angoisses, Paris apprit le retour de son poëte, de son orateur, de son vaillant, tout entier il se leva, joyeux une heure, pour le recevoir. Il lui fit fête dans le deuil, tant il lui semblait qu’en franchissant nos murs Victor Hugo y conduisait avec lui la force invincible et la victoire assurée.

Avec la même unanimité, pénétré d’une émotion plus forte encore, Paris pleure aujourd’hui. Sur quoi ? sur la fin de cette existence qu’avec admiration nous avons vue se dérouler ? sur le sort de celui qui mourut plein de jours et comblé de gloire ? Non ; ne le croyez pas ! Mais sur lui-même, sur le monde à jamais privé de cette grande lumière.

Quand de telles morts viennent nous attrister, ce n’est pas en effet la tombe qui semble noire. De ses profondeurs un rayonnement jaillit qui l’illumine. C’est nous tous, ce sont les vivants qui comme enveloppés dans un crêpe de deuil se sentent dans les ténèbres. Nous pleurons comme pleure l’orphelin, qui, éperdu, verse moins des larmes sur sa mère que sur l’appui tutélaire, sur la protection sans égale qui vient à lui manquer.

Lui, le Maître, jusqu’au dernier instant, jusqu’à son dernier souffle, il souriait à la mort ; mieux encore, se sentant immortel, il n’y pouvait pas croire. Il voyait au delà la continuation de sa puissante vitalité, devenue plus puissante encore.

Ici bas, à l’heure où se fermaient ses yeux, il pressentait sans doute, avec l’amour de tout ce grand peuple entourant son cercueil, ce temple devant lequel nous sommes, trop longtemps ravi au culte des grands hommes, à celui de la patrie, reconquis par lui, s’ouvrant à deux battants pour le recevoir, sans souci des quelques clameurs vaines qui essayaient de troubler le triomphe, sans souci des accusations inouïes de profanation, comme si le contact du génie pouvait jamais profaner !

En d’autre temps, parlant de cet autre édifice où d’autres honneurs viennent de lui être rendus tout à l’heure, de la grandeur que donne à la pierre le temps écoulé, de la majesté que lui prête l’usure des ans, il avait dit :

La vieillesse couronne et la ruine achève,
Il faut à l’édifice un passé dont on rêve.

Ce qui est vrai de la pierre, l’est des hommes, chers concitoyens. Nul n’eut rêvé, pour couronner une si admirable vie, une aussi glorieuse vieillesse. La mort vient de les compléter. Pour Victor Hugo le passé a commencé tout à l’heure et, dans le rêve, nous pouvons le voir entouré de Barbès, dont il prolongea la vie ; de