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DEPUIS L’EXIL. — 1881.

ces bouquets, ces palmes, ces lauriers, ces chants et ces fanfares, ces centaines de milliers d’hommes, ont fait la plus belle manifestation pacifique que puisse rêver la pensée humaine.

Il semblait que ce fût l’aurore d’une époque nouvelle, du règne de l’intelligence, de la souveraineté de l’esprit.

Victor Hugo salué, acclamé par les enfants, par les hommes, par les vieillards, souriant à leurs sourires, c’est un des spectacles les plus touchants, les plus nobles, que la France nous ait encore donnés, et, si c’est une date mémorable dans la vie du poëte, c’est une date à jamais illustre dans notre histoire nationale. — Gustave Rivet.


Ce qui a été extraordinaire, intraduisible, c’est le dernier moment de cette inoubliable journée. Lorsque la dernière délégation a eu défilé, — précédée par deux toutes petites filles en robes blanches traversées d’écharpes tricolores, — la foule, jusqu’alors entassée dans les rues avoisinantes et sur les trottoirs de l’avenue, dans un prodigieux mouvement de houle qui ressemblait à l’arrivée d’un flot colossal, toute cette mer humaine est arrivée sous la fenêtre du poète, et là, électriquement, dans un même élan, dans un même cri, a poussé de ses milliers de poitrines, cette acclamation immense :

— Vive Victor Hugo !

Le spectacle était stupéfiant. Sur cet entassement de têtes nues, un crépuscule de ciel gris, neigeux, tombait, çà et là piqué des lueurs claires des becs de gaz que les allumeurs avaient trouvé moyen de faire flamber jusqu’en cette foule ; — on n’apercevait plus, à travers les branches des arbres, qu’une fourmilière indistincte, des milliers de points blafards, — faces humaines tournées vers le poëte, — et la lumière argentée du soir emplissait l’avenue : une multitude à la Delacroix dans un paysage de Corot. — Jules Claretie.