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BUG-JARGAL.
Recommande ton âme à saint Sabas. (Page 55.)
Recommande ton âme à saint Sabas. (Page 55.)

de sacatras, de mameluks, de quarterons ; de sang-mêlés libres, ou par des hordes nomades de noirs marrons à l’attitude fière, aux carabines brillantes, traînant dans leurs rangs leurs cabrouets tout chargés, ou quelque canon pris aux blancs, qui leur servait moins d’arme que de trophée, et hurlant à pleine voix les hymnes du Camp du Grand-Pré et d’Oua-Nassé. Au-dessus de toutes ces têtes flottaient des drapeaux de toutes couleurs, de toutes devises, blancs, rouges, tricolores, fleurdelisés, surmontés du bonnet de liberté, portant pour inscriptions : Mort aux prêtres et aux aristocrates ! — Vive la religion ! Liberté ! Égalité ! Vive le roi ! — À bas la métropole ! Viva España ! Plus de tyrans ! etc. Confusion frappante qui indiquait que toutes les forces des rebelles n’étaient qu’un amas de moyens sans but, et qu’en cette armée il n’y avait pas moins de désordre dans les idées que dans les hommes.

En passant tour à tour devant la grotte, les bandes inclinaient leur bannière, et Biassou rendait le salut. Il adressait à chaque troupe quelque réprimande ou quelque éloge ; et chaque parole de sa bouche, sévère ou flatteuse, était recueillie par les siens avec un respect fanatique et une sorte de crainte superstitieuse.

Ce flot de barbares et de sauvages passa enfin. J’avoue que la vue de tant de brigands, qui m’avait distrait d’abord, finissait par me peser. Cependant le jour tombait, et, au moment où les derniers rangs défilèrent, le soleil ne jetait plus qu’une teinte de cuivre rouge