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L'année terrible.


Dans on ne sait quelle ombre où l’histoire frissonne,
Et qu’il n’avait encore ouverte pour personne ;
Là, comme au fond d’un puits sinistre, il le perdit.
Le juge dépassa ce qu’on avait prédit.

Il advint que cet homme un jour songea : — Je règne.
Oui. Mais on me méprise, il faut que l’on me craigne.
J’entends être à mon tour maître du monde, moi.
Terre, je vaux mon oncle, et j’ai droit à l’effroi.
Je n’ai pas d’Austerlitz, soit, mais j’ai mon Brumaire.
Il a Machiavel tout en ayant Homère,
Et les tient attentifs tous deux à ce qu’il fait ;
Machiavel à moi me suffit. Galifet
M’appartient, j’eus Morny, j’ai Rouher et Devienne.
Je n’ai pas encor pris Madrid, Lisbonne, Vienne,
Naples, Dantzick, Munich, Dresde, je les prendrai.
J’humilierai sur mer la croix de Saint-André,
Et j’aurai cette vieille Albion pour sujette.
Un voleur qui n’est pas le roi des rois, végète.
Je serai grand. J’aurai pour valets, moi forban,
Mastaï sous sa mitre, Abdul sous son turban,
Le czar sous sa peau d’ours et son bonnet de martre ;
Puisque j’ai foudroyé le boulevard Montmartre,
Je puis vaincre la Prusse ; il est aussi malin
D’assiéger Tortoni que d’assiéger Berlin ;
Quand on a pris la Banque on peut prendre Mayence.
Pétersbourg et Stamboul sont deux chiens de faïence ;