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AOUT.


II

Que Pline aille au Vésuve, Empédocle à l’Etna,
C’est que dans le cratère une aube rayonna,
Et ces grands curieux ont raison ; qu’un brahmine
Se fasse à Benarès manger par la vermine,
C’est pour le paradis et cela se comprend ;
Qu’à travers Lipari de laves s’empourprant,
Un pêcheur de corail vogue en sa coraline,
Frêle planche que lèche et mord la mer féline,
Des caps de Corse aux rocs orageux de Corfou ;
Que Socrate soit sage et que Jésus soit fou,
L’un étant raisonnable et l’autre étant sublime ;
Que le prophète noir crie autour de Solime
Jusqu’à ce qu’on le tue à coups de javelots ;
Que Green se livre aux airs et Lapeyrouse aux flots,
Qu’Alexandre aille en Perse ou Trajan chez les Daces,
Tous savent ce qu’ils font ; ils veulent : leurs audaces
Ont un but ; mais jamais les siècles, le passé,
L’histoire n’avaient vu ce spectacle insensé,
Ce vertige, ce rêve, un homme qui lui-même,
Descendant d’un sommet triomphal et suprême,
Tirant le fil obscur par où la mort descend,
Prend la peine d’ouvrir sa fosse, et, se plaçant
Sous l’effrayant couteau qu’un mystère environne,
Coupe sa tête afin d’affermir sa couronne !