Page:Hugo - L'Art d'être grand-père, 1877.djvu/72

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Il a d’affreux vautours qui nous tombent des nues ;
Il nous impose un tas d’inventions cornues,
Le bouc, l’auroch, l’isard et le colimaçon ;
Il blesse le bon sens, il choque la raison ;
Il nous raille ; il nous fait avaler la couleuvre !
Au moment où, contents, examinant son œuvre,
Rendant pleine justice à tant de qualités,
Nous admirons l’œil d’or des tigres tachetés,
Le cygne, l’antilope à la prunelle bleue,
La constellation qu’un paon a dans sa queue,
D’une cage insensée il tire le verrou,
Et voilà qu’il nous jette au nez le kangourou !
Dieu défait et refait, ride, éborgne, essorille,
Exagère le nègre, hélas, jusqu’au gorille,
Fait des taupes et fait des lynx, se contredit,
Mêle dans les halliers l’histrion au bandit,
Le mandrille au jaguar, le perroquet à l’aigle,
Lie à la parodie insolente et sans règle
L’épopée, et les laisse errer toutes les deux
Sous l’âpre clair-obscur des branchages hideux ;
Si bien qu’on ne sait plus s’il faut trembler ou rire,
Et qu’on croit voir rôder, dans l’ombre que déchire
Tantôt le rayon d’or, tantôt l’éclair d’acier,
Un spectre qui parfois avorte en grimacier.
Moi, je n’exige pas que Dieu toujours s’observe,
Il faut bien tolérer quelques excès de verve
Chez un si grand poète, et ne point se fâcher
Si celui qui nuance une fleur de pêcher