Aller au contenu

Page:Hugo - L'Art d'être grand-père, 1877.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Une apparition d’abîme, l’affreux songe
Réel que l’œil troublé des prophètes amers
Voit sous la transparence effroyable des mers
Et qui se traîne épars dans l’horreur inouïe,
L’énorme bâillement du gouffre qui s’ennuie,
Les mâchoires de l’hydre ouvertes tristement,
On ne sait quel chaos blême, obscur, inclément,
Un essai d’exister, une ébauche de vie
D’où sort le bégaiement furieux de l’envie.
C’est cela l’animal ; et c’est ce que l’enfant
Regarde, admire et craint, vaguement triomphant ;
C’est de la nuit qu’il vient contempler, lui l’aurore.
Ce noir fourmillement mugit, hurle, dévore ;
On est un chérubin rose, frêle et tremblant ;
On va voir celui-ci que l’hiver fait tout blanc,
Cet autre dont l’œil jette un éclair du tropique ;
Tout cela gronde, hait, menace, siffle, pique,
Mord ; mais par sa nourrice on se sent protéger ;
Comme c’est amusant d’avoir peur sans danger !
Ce que l’homme contemple, il croit qu’il le découvre.
Voir un roi dans son antre, un tigre dans son Louvre,
Cela plaît à l’enfance. — Il est joliment laid !
Viens voir ! — Étrange instinct ! Grâce à qui l’horreur plaît !
On vient chercher surtout ceux qu’il faut qu’on évite.
— Par ici ! — Non, par là ! — Tiens, regarde ! — Viens vite !
— Jette-leur ton gâteau. — Pas tout. — Jette toujours.
— Moi, j’aime bien les loups. — Moi, j’aime mieux les ours.
Et les fronts sont riants, et le soleil les dore,