Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des magnifiques occasions de nous pendre que nous offrent toutes les cordes et tous les clous, la nature a l’air de prendre un peu soin de l’homme. Pas cette nuit pourtant. Elle fait pousser le blé, elle fait mûrir le raisin, elle fait chanter le rossignol, cette sournoise de nature. De temps en temps un rayon d’aurore, ou un verre de gin, c’est là ce qu’on appelle le bonheur. Une mince bordure de bien autour de l’immense suaire du mal. Nous avons une destinée dont le diable a fait l’étoffe et dont Dieu a fait l’ourlet. En attendant, tu m’as mangé mon souper, voleur !

Cependant le nourrisson, qu’il tenait toujours entre ses bras, et très doucement tout en faisant rage, refermait vaguement les yeux, signe de plénitude. Ursus examina la fiole, et grogna :

— Elle a tout bu, l’effrontée !

Il se dressa et, soutenant la petite du bras gauche, de la main droite il souleva le couvercle du coffre, et tira de l’intérieur une peau d’ours, ce qu’il appelait, on s’en souvient, sa « vraie peau ».

Tout en exécutant ce travail, il entendait l’autre enfant manger, et il le regardait de travers.

— Ce sera une besogne s’il faut désormais que