Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 4.djvu/348

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Chose navrante, lui-même il riait. L’affreuse chaîne lui liait l’âme et empêchait sa pensée de monter jusqu’à son visage. La défiguration allait jusqu’à son esprit, et, pendant que sa conscience s’indignait, sa face lui donnait un démenti et ricanait. C’était fini. Il était l’Homme qui Rit, cariatide du monde qui pleure. Il était une angoisse pétrifiée en hilarité portant le poids d’un univers de calamité, et muré à jamais dans la jovialité, dans l’ironie, dans l’amusement d’autrui ; il partageait avec tous les opprimés, dont il était l’incarnation, cette fatalité abominable d’être une désolation pas prise au sérieux ; on badinait avec sa détresse ; il était on ne sait quel bouffon énorme sorti d’une effroyable condensation d’infortune, évadé de son bagne, passé dieu, monté du fond des populaces au pied du trône, mêlé aux constellations, et, après avoir égayé les damnés, il égayait les élus ! Tout ce qu’il y avait en lui de générosité, d’enthousiasme, d’éloquence, de cœur, d’âme, de fureur, de colère, d’amour, d’inexprimable