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Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 1.djvu/108

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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Une goutte de sang se détachait de l’ombre,
Implacable, et tombait sur cette blancheur sombre.
Il voyait, plus tremblant qu’au vent le peuplier,
Ces taches s’élargir et se multiplier ;

Une autre, une autre, une autre, une autre, ô cieux funèbres !

Leur passage rayait vaguement les ténèbres ;
Ces gouttes, dans les plis du linceul, finissant
Par se mêler, faisaient des nuages de sang ;
Il marchait, il marchait ; de l’insondable voûte
Le sang continuait à pleuvoir goutte à goutte,
Toujours, sans fin, sans bruit, et comme s’il tombait
De ces pieds noirs qu’on voit la nuit pendre au gibet ;
Hélas ! qui donc pleurait ces larmes formidables ?
L’infini. Vers les cieux, pour le juste abordables,
Dans l’océan de nuit sans flux et sans reflux,
Kanut s’avançait, pâle et ne regardant plus ;
Enfin, marchant toujours comme en une fumée,
Il arriva devant une porte fermée
Sous laquelle passait un jour mystérieux ;
Alors sur son linceul il abaissa les yeux ;
C’était l’endroit sacré, c’était l’endroit terrible ;
On ne sait quel rayon de Dieu semble visible ;
De derrière la porte on entend l’hosanna.

Le linceul était rouge et Kanut frissonna.

Et c’est pourquoi Kanut, fuyant devant l’aurore
Et reculant, n’a pas osé paraître encore