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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Ah ! Ladislas est roi, Sigismond est césar ;
Dieu n’est bon qu’à servir de roue à votre char ;
Toi, tu tiens la Pologne avec ses villes fortes ;
Toi, Milan t’a fait duc, Rome empereur, tu portes
La couronne de fer et la couronne d’or ;
Toi, tu descends d’Hercule, et toi, de Spartibor ;
Vos deux tiares sont les deux lueurs du monde ;
Tous les monts de la terre et tous les flots de l’onde
Ont, altiers ou tremblants, vos deux ombres sur eux ;
Vous êtes les jumeaux du grand vertige heureux ;
Vous avez la puissance et vous avez la gloire ;
Mais, sous ce ciel de pourpre et sous ce dais de moire,
Sous cette inaccessible et haute dignité,
Sous cet arc de triomphe au cintre illimité,
Sous ce royal pouvoir, couvert de sacrés voiles,
Sous ces couronnes, tas de perles et d’étoiles,
Sous tous ces grands exploits, prompts, terribles, fougueux,
Sigismond est un monstre et Ladislas un gueux !
Ô dégradation du sceptre et de l’épée !
Noire main de justice aux cloaques trempée !
Devant l’hydre, le seuil du temple ouvre ses gonds,
Et le trône est un siége aux croupes des dragons !
Siècle infâme ! ô grand ciel étoilé, que de honte !
Tout rampe ; pas un front où le rouge ne monte ;
C’est égal, on se tait, et nul ne fait un pas.
Ô peuple, million et million de bras,
Toi, que tous ces rois-là mangent et déshonorent,
Toi, que Leurs Majestés les vermines dévorent,