Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/127

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Cependant, sur le bord du bassin, en silence,
L’infante tient toujours sa rose gravement,
Et, doux ange aux yeux bleus, la baise par moment.
Soudain un souffle d’air, une de ces haleines
Que le soir frémissant jette à travers les plaines,
Tumultueux zéphyr effleurant l’horizon,
Trouble l’eau, fait frémir les joncs, met un frisson
Dans les lointains massifs de myrte et d’asphodèle,
Vient jusqu’au bel enfant tranquille, et, d’un coup d’aile,
Rapide, et secouant même l’arbre voisin,
Effeuille brusquement la fleur dans le bassin ;
Et l’infante n’a plus dans la main qu’une épine.
Elle se penche, et voit sur l’eau cette ruine ;
Elle ne comprend pas ; qu’est-ce donc ? Elle a peur ;
Et la voilà qui cherche au ciel avec stupeur
Cette brise qui n’a pas craint de lui déplaire.
Que faire ? Le bassin semble plein de colère ;
Lui, si clair tout à l’heure, il est noir maintenant ;
Il a des vagues ; c’est une mer bouillonnant ;
Toute la pauvre rose est éparse sur l’onde ;
Ses cent feuilles, que noie et roule l’eau profonde,
Tournoyant, naufrageant, s’en vont de tous côtés
Sur mille petits flots par la brise irrités ;
On croit voir dans un gouffre une flotte qui sombre.
« — Madame, dit la duègne avec sa face d’ombre
À la petite fille étonnée et rêvant,
Tout sur terre appartient aux princes, hors le vent. »