Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/117

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Ah ! c'est vrai, soixante ans la montagne trembla
Sous mes pas, et j'ai pris et secoué les princes
Nombreux et noirs, sous qui râlaient trente provinces,
Gil, Vermond, Araül, Barruza, Gaïffer,
J'ai tordu dans mes poings tous ces barreaux de fer ;
J'ai fait tomber du mur les toiles d'araignées,
Les prêtres ; j'ai mon lot de batailles gagnées
Comme un autre ; pourtant frappe-moi si j'ai tort !
Oui, mon épée est fière et mon donjon est fort,
J'ai protégé beaucoup de villes orphelines,
J'ai dans mon ombre un tas de tyrans en ruines,
Je semble presque un roi tant je suis triomphant ;
Et je suis un vieillard, mais je suis ton enfant !

Ainsi parlait don Jayme en ces caveaux funèbres
À son père de bronze assis dans les ténèbres,
Fantôme plein de l'âme immense des aïeux ;
Et pendant qu'il parlait Jayme fermait les yeux ;
Sa tête était posée, humble, et comme abattue,
Sur les puissants genoux de la haute statue ;
Et cet homme, fameux par tant d'altiers défis
Et tant de beaux combats, pleurait ; l'amour d'un fils
Est sans fond, la douleur d'un père est insondable ;
Il pleurait.

                          Tout à coup, — rien n'est plus formidable