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Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/250

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De la fumée. À l'aube on se lève, à la brune
On se couche ; et je vais vous en raconter une.
Cette bataille-là se nomme Eylau ; je crois
Que j'étais capitaine et que j'avais la croix ;
Oui, j'étais capitaine. Après tout, à la guerre,
Un homme, c'est de l'ombre, et ça ne compte guère,
Et ce n'est pas de moi qu'il s'agit. Donc, Eylau
C'est un pays en Prusse ; un bois, des champs, de l'eau,
De la glace, et partout l'hiver et la bruine.
Le régiment campa près d'un mur en ruine ;
On voyait des tombeaux autour d'un vieux clocher.
Bénigssen ne savait qu'une chose, approcher
Et fuir ; mais l'empereur dédaignait ce manége.
Et les plaines étaient toutes blanches de neige.
Napoléon passa, sa lorgnette à la main.
Les grenadiers disaient : Ce sera pour demain.
Des vieillards, des enfants pieds nus, des femmes grosses
Se sauvaient ; je songeais ; je regardais les fosses.
Le soir on fit les feux, et le colonel vint,
Il dit : — Hugo ? — Présent. — Combien d'hommes ? — Cent-vingt.
— Bien. Prenez avec vous la compagnie entière,
Et faites-vous tuer. — Où ? — Dans le cimetière.
Et je lui répondis : — C'est en effet l'endroit.
J'avais ma gourde, il but et je bus ; un vent froid
Soufflait. Il dit : — La mort n'est pas loin. Capitaine,
J'aime la vie, et vivre est la chose certaine,