Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/76

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Ceux-ci basques, ceux-là catalans, méchants tous,
Ils ont de leurs donjons couvert la chaîne entière ;
Du pertuis de Biscaye au pas de l’Argentière,
La guerre gronde, ouvrant ses gueules de dragon
Sur toute la Navarre et sur tout l’Aragon ;
Tout tremble ; pas un coin de ravine où ne grince
La mâchoire d’un tigre ou la fureur d’un prince ;
Ils sont maîtres des cols et maîtres des sommets.
Ces pays garderont leurs traces à jamais ;
La tyrannie avec le fer du glaive creuse
Sur la terre sa forme et sa figure affreuse,
Là ses dents, là son pied monstrueux, là son poing ;
Linéaments hideux qu’on n’effacera point,
Tant avec son épée impérieuse et dure
Chaque despote en fait profonde la gravure !
Or jamais ces vieux pics pleins de tours, exhaussés
De forts ayant le gouffre et la nuit pour fossés,
N’ont paru plus mauvais et plus haineux aux hommes
Que dans le siècle étrange et funèbre où nous sommes ;
Ils se dressent, chaos de blocs démesurés ;
Leur cime, par delà les vallons et les prés,
Guette, gêne et menace, à vingt ou trente lieues,
Les villes dont au loin on voit les flèches bleues ;
De quelque chef de bande implacable et trompeur
Chacun d’eux est l’abri redouté ; leur vapeur
Semble empoisonner l’air d’un miasme insalubre ;
Ils sont la vision colossale et lugubre ;
La neige et l’ombre font, dans leurs creux entonnoirs,