Roi, je suis un aimant mystérieux qui passe
Et qui, par sa douceur éparse dans l’espace,
Attire, sans vacarme et sans brutalité,
Et fait venir à lui de bonne volonté
Les farthings endormis dans les poches des hommes.
Je m’annexe les sous sans mépriser les sommes,
Mais les bons sacs bien lourds c’est rare ; il me suffit
D’un denier ; et souvent je n’ai pour tout profit
De mes subtils travaux, dignes de vos estimes,
Messieurs les empereurs et rois, que cinq centimes ;
Je m’en contente, étant aux hommes indulgent.
Je tâche de coûter au peuple peu d’argent,
Mais de manger. Avoir un trou, m’en faire un Louvre ;
Guetter l’homme qui passe ou le volet qui s’ouvre ;
Attendre qu’un marchand sous les brises du soir
Rêve, et laisse bâiller le tiroir du comptoir,
Vite y fourrer avec une agilité d’ange
Ma patte, et n’être vu dans ce mystère étrange
Que des astres pensifs au fond du ciel profond ;
Épier la minute où les belles défont
Leur jarretière afin de leur chiper leur montre ;
Des sous avec ma griffe opérer la rencontre ;
Ajouter pour rallonge au destin mes dix doigts ;
Dire à Dieu : Tu sais bien, au fond, que tu me dois,
Donc ne te fâche pas ! telle est ma vie, altesse.
Vous avez la grandeur, moi j’ai la petitesse ;
Mais devant le soleil, ce prodige flagrant,
L’infiniment petit vaut l’infiniment grand.
Page:Hugo - La Légende des siècles, 3e série, édition Hetzel, 1883.djvu/225
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