Page:Hugo - La pitié suprême, 1879.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LA PITIÉ SUPRÊME.

Marchant sans but, sans ciel, sans soleil, sans patrie,
Blême troupeau montrant son épaule meurtrie,
Son dos sombre où l’on peut compter les nœuds du fouet ;
Tandis qu’au loin le vent ténébreux secouait
Les barques sur la mer et sur les monts l’yeuse ;
Tandis que, du cadran parque mystérieuse,
L’heure, coupant, dans l’air, sur la terre et les eaux,
Toutes sortes de fils avec ces noirs ciseaux,
Ouvrait et refermait l’angle des deux aiguilles ;
Tandis qu’ainsi qu’un homme est derrière des grilles,
Le jour pâle attendait l’instant de remonter,
Lugubre, j’ai passé des nuits à méditer,
À regarder dans l’ombre informe ce qui rampe,
Oubliant de moucher la mèche de ma lampe ;
Et, penché sur les fils orageux de Japhet,
Grave et n’ayant qu’un but, la justice, j’ai fait
Devant ma conscience austère comparaître
L’homme qui fut le roi, l’homme qui fut le prêtre ;
J’ai passé la revue étrange des tyrans ;
Ces flamboyants voleurs appelés conquérants
Ont répondu, pensifs, à l’interrogatoire.