Page:Hugo - Le Roi s amuse.djvu/20

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si importante pour lui ? Qui lui dira de quoi eut été suivie cette première représentation ? Qui lui rendra le public du lendemain, ce public ordinairement impartial, ce public sans amis et sans ennemis, ce public qui enseigne le poète et que le poète enseigne ?

Le moment de transition politique ou nous sommes est curieux. C'est un de ces instants de fatigue générale où tous les actes despotiques sont possibles dans la société même la plus infiltrée d’idées d’émancipation et de liberté. La France a marché vite en juillet 1830 ; elle a fait trois bonnes journées ; elle a fait trois grandes étapes dans le champ de la civilisation et du progrès. Maintenant beaucoup sont essoufflés, beaucoup demandent à faire halte. On veut retenir les esprits généreux qui ne se lassent pas et qui vont toujours. On veut attendre les tardifs qui sont restés en arrière et leur donner le temps de rejoindre. De là une crainte singulière de tout ce qui marche, de tout ce qui remue, de tout ce qui parle, de tout ce qui pense. Situation bizarre, facile à comprendre, difficile a définir. Ce sont toutes les existences qui ont peur de toutes les idées. C’est la ligue des intérêts froissés du mouvement des théories. C’est le commerce qui s'effarouche des systèmes ; c’est le marchand qui veut vendre ; c’est la rue qui effraie le comptoir ; c’est la boutique armée qui se défend.

À notre avis, le gouvernement abuse de cette disposition au repos et de cette crainte des révolutions nouvelles. Il en est venu à tyranniser petitement. Il a tort pour lui et pour nous. S’il croit qu’il y a maintenant indifférence dans les esprits pour les idées de liberté, il se trompe ;