Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/288

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Use à tout ressaisir ses ongles noirs, fait rage ;
Il gonfle son vieux flot, souffle son vieil orage,
Vomit sa vieille nuit, crie : À bas ! crie : À mort !
Pleure, tonne, tempête, éclate, hurle, mord.
L’avenir souriant lui dit : Passe, bonhomme.

L’immense renégat d’Hier, marquis, se nomme
Demain ; mai tourne bride et plante là l’hiver ;
Qu’est-ce qu’un papillon ? le déserteur du ver ;
Falstaff se range ? il est l’apostat des ribotes ;
Mes pieds, ces renégats, quittent mes vieilles bottes ;
Ah ! le doux renégat des haines, c’est l’amour.
À l’heure où, débordant d’incendie et de jour,
Splendide, il s’évada de leurs cachots funèbres,
Le soleil frémissant renia les ténèbres.

Ô marquis peu semblable aux anciens barons loups,
Ô français renégat du celte, embrassons-nous.
Vous voyez bien, marquis, que vous aviez trop d’ire.


VI


Rien, au fond de mon cœur, puisqu’il faut le redire,
Non, rien n’a varié ; je suis toujours celui
Qui va droit au devoir, dès que l’honnête a lui,
Qui, comme Job, frissonne aux vents, fragile arbuste,
Mais veut le bien, le vrai, le beau, le grand, le juste.
Je suis cet homme-là, je suis cet enfant-là.
Seulement, un matin, mon esprit s’envola,
Je vis l’espace large et pur qui nous réclame ;
L’horizon a changé, marquis, mais non pas l’âme.
Rien au dedans de moi, mais tout autour de moi.
L’histoire m’apparut, et je compris la loi
Des générations, cherchant Dieu, portant l’arche,
Et montant l’escalier immense marche à marche.