Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/33

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Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me fâcher ; qu’on s’amuse avec moi ; que je fais
Des choses en carton, des dessins à la plume ;
Que je raconte, à l’heure où la lampe s’allume,
Oh ! des contes charmants qui vous font peur la nuit,
Et qu’enfin je suis doux, pas fier et fort instruit.

Aussi, dès qu’on m’a vu : — le voilà ! tous accourent.
Ils quittent jeux, cerceaux et balles ; ils m’entourent
Avec leurs beaux grands yeux d’enfants, sans peur, sans fiel,
Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel !
Les petits — quand on est petit, on est très brave —
Grimpent sur mes genoux ; les grands ont un air grave ;
Ils m’apportent des nids de merles qu’ils ont pris,
Des albums, des crayons qui viennent de Paris ;
On me consulte, on a cent choses à me dire,
On parle, on cause, on rit surtout ; — j’aime le rire,
Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,
Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et cœurs,
Qui montre en même temps des âmes et des perles. —

J’admire les crayons, l’album, les nids de merles ;
Et quelquefois on dit quand j’ai bien admiré :
— Il est du même avis que monsieur le curé.
Puis, lorsqu’ils ont jasé tous ensemble à leur aise,
Ils font soudain, les grands s’appuyant sur ma chaise,
Et les petits toujours groupés sur mes genoux,
Un silence, et cela veut dire : — Parle-nous.

Je leur parle de tout. Mes discours en eux sèment
Ou l’idée ou le fait. Comme ils m’aiment, ils aiment
Tout ce que je leur dis. Je leur montre du doigt
Le ciel, Dieu qui s’y cache, et l’astre qu’on y voit.
Tout, jusqu’à leur regard, m’écoute. Je dis comme
Il faut penser, rêver, chercher. Dieu bénit l’homme,
Non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché.
Je dis : Donnez l’aumône au pauvre humble et penché.