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XI


La terre, sur la bière où le mort pâle écoute,
Tombe, et le nid gazouille, et, là-bas, sur la route
Siffle le paysan ;
Et ces fils, ces amis que le regret amène,
N’attendent même pas que la fosse soit pleine
Pour dire : Allons-nous-en !

Le fossoyeur, payé par ces douleurs hâtées,
Jette sur le cercueil la terre à pelletées.
Toi qui, dans ton linceul,
Rêvais le deuil sans fin, cette blanche colombe,
Avec cet homme allant et venant sur ta tombe,
Ô mort, te voilà seul !

Commencement de l’âpre et morne solitude !
Tu ne changeras plus de lit ni d’attitude ;
L’heure aux pas solennels
Ne sonne plus pour toi ; l’ombre te fait terrible ;
L’immobile suaire a sur ta forme horrible
Mis ses plis éternels.

Et puis le fossoyeur s’en va boire la fosse.
Il vient de voir des dents que la terre déchausse,
Il rit, il mange, il mord ;
Et prend, en murmurant des chansons hébétées,
Un verre dans ses mains à chaque instant heurtées
Aux choses de la mort.

Le soir vient ; l’horizon s’emplit d’inquiétude ;
L’herbe tremble et bruit comme une multitude ;
Le fleuve blanc reluit ;
Le paysage obscur prend les veines des marbres ;
Ces hydres que, le jour, on appelle des arbres,
Se tordent dans la nuit.