Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/370

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Soufflera sur ce sable où sont les tentes frêles,
Et Chéops roulera pêle-mêle avec elles
En s’écriant : Eh bien !

Tu périras, malgré ton enceinte murée,
Et tu ne seras plus, ville, ô ville sacrée,
Qu’un triste amas fumant,
Et ceux qui t’ont servie et ceux qui t’ont aimée
Frapperont leur poitrine en voyant la fumée
De ton embrasement.

Ils diront : — Ô douleur ! ô deuil ! guerre civile !
Quelle ville a jamais égalé cette ville ?
Ses tours montaient dans l’air ;
Elle riait aux chants de ses prostituées ;
Elle faisait courir ainsi que des nuées
Ses vaisseaux sur la mer.

Ville ! où sont tes docteurs qui t’enseignaient à lire ?
Tes dompteurs de lions qui jouaient de la lyre,
Tes lutteurs jamais las ?
Ville ! est-ce qu’un voleur, la nuit, t’a dérobée ?
Où donc est Babylone ? Hélas ! elle est tombée !
Elle est tombée, hélas !

On n’entend plus chez toi le bruit que fait la meule.
Pas un marteau n’y frappe un clou. Te voilà seule.
Ville, où sont tes bouffons ?
Nul passant désormais ne montera tes rampes ;
Et l’on ne verra plus la lumière des lampes
Luire sous tes plafonds. —

Brillez pour disparaître et montez pour descendre.
Le grain de sable dit dans l’ombre au grain de cendre :
Il faut tout engloutir.