Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/372

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L’aigle trépas du bout de l’aile nous effleure ;
Et toute notre vie, en fuite heure par heure,
S’en va derrière nous.

Ô coups soudains ! départs vertigineux ! mystère !
Combien qui ne croyaient parler que pour la terre,
Front haut, cœur fier, bras fort,
Tout à coup, comme un mur subitement s’écroule,
Au milieu d’une phrase adressée à la foule,
Sont entrés dans la mort,

Et, sous l’immensité qui n’est qu’un œil sublime,
Ont pâli, stupéfaits de voir, dans cet abîme
D’astres et de ciel bleu,
Où le masqué se montre, où l’inconnu se nomme,
Que le mot qu’ils avaient commencé devant l’homme
S’achevait devant Dieu !

Un spectre au seuil de tout tient le doigt sur sa bouche.
Les morts partent. La nuit de sa verge les touche.
Ils vont, l’antre est profond,
Nus, et se dissipant, et l’on ne voit rien luire.
Où donc sont-ils allés ? On n’a rien à vous dire.
Ceux qui s’en vont, s’en vont.

Sur quoi donc marchent-ils ? sur l’énigme, sur l’ombre,
Sur l’être. Ils font un pas : comme la nef qui sombre,
Leur blancheur disparaît ;
Et l’on n’entend plus rien dans l’ombre inaccessible
Que le bruit sourd que fait dans le gouffre invisible
L’invisible forêt.

L’infini, route noire et de brume remplie,
Et qui joint l’âme à Dieu, monte, fuit, multiplie
Ses cintres tortueux,