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Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/208

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mais, cet enfant disparu, il se sentit un vide noir dans le cœur. Il exigea qu’on ne lui en parlât plus, en regrettant tout bas d’être si bien obéi. Dans les premiers temps il espéra que ce buonapartiste, ce jacobin, ce terroriste, ce septembriseur reviendrait. Mais les semaines se passèrent, les mois se passèrent, les années se passèrent ; au grand désespoir de M. Gillenormand, le buveur de sang ne reparut pas. — Je ne pouvais pourtant pas faire autrement que de le chasser, se disait le grand-père, et il se demandait : si c’était à refaire, le referais-je ? Son orgueil sur-le-champ répondait oui, mais sa vieille tête qu’il hochait en silence répondait tristement non. Il avait ses heures d’abattement. Marius lui manquait. Les vieillards ont besoin d’affection comme de soleil. C’est de la chaleur. Quelle que fût sa forte nature, l’absence de Marius avait changé quelque chose en lui. Pour rien au monde, il n’eût voulu faire un pas vers ce « petit drôle » ; mais il souffrait. Il ne s’informait jamais de lui, mais il y pensait toujours. Il vivait, de plus en plus retiré, au Marais. Il était encore, comme autrefois, gai et violent, mais sa gaîté avait une dureté convulsive comme si elle contenait de la douleur et de la colère, et ses violences se terminaient toujours par une sorte d’accablement doux et sombre. Il disait quelquefois : — Oh ! s’il revenait, quel bon soufflet je lui donnerais !

Quant à la tante, elle pensait trop peu pour aimer beaucoup ; Marius n’était plus pour elle qu’une espèce de silhouette noire et vague ; et elle avait fini par s’en occuper beaucoup moins que du chat ou du perroquet qu’il est probable qu’elle avait.