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Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/299

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Un jour de cet hiver-là, le soleil s’était un peu montré dans l’après-midi, mais c’était le 2 février, cet antique jour de la Chandeleur dont le soleil traître, précurseur d’un froid de six semaines, a inspiré à Mathieu Laensberg ces deux vers restés justement classiques :

Qu’il luise ou qu’il luiserne,
L’ours rentre en sa caverne.

Marius venait de sortir de la sienne. La nuit tombait. C’était l’heure d’aller dîner ; car il avait bien fallu se remettre à dîner, hélas ! ô infirmités des passions idéales !

Il venait de franchir le seuil de sa porte que mame Bougon balayait en ce moment-là même tout en prononçant ce mémorable monologue :

— Qu’est-ce qui est bon marché à présent ? tout est cher. Il n’y a que la peine du monde qui est bon marché ; elle est pour rien, la peine du monde !

Marius montait à pas lents le boulevard vers la barrière afin de gagner la rue Saint-Jacques. Il marchait pensif, la tête baissée.

Tout à coup il se sentit coudoyé dans la brume ; il se retourna, et vit deux jeunes filles en haillons, l’une longue et mince, l’autre un peu moins grande, qui passaient rapidement, essoufflées, effarouchées, et comme ayant l’air de s’enfuir ; elles venaient à sa rencontre, ne l’avaient pas vu, et l’avaient heurté en passant. Marius distinguait dans le crépuscule leurs figures livides, leurs têtes décoiffées, leurs cheveux épars, leurs affreux bonnets, leurs jupes en guenilles et leurs pieds nus. Tout en courant, elles se