Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/333

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C’était l’enfant qui disait la veille au soir sur le boulevard : J’ai cavalé ! cavalé ! cavalé !

Elle était de cette espèce malingre qui reste longtemps en retard, puis pousse vite et tout à coup. C’est l’indigence qui fait ces tristes plantes humaines. Ces créatures n’ont ni enfance ni adolescence. À quinze ans, elles en paraissent douze, à seize ans, elles en paraissent vingt. Aujourd’hui petites filles, demain femmes. On dirait qu’elles enjambent la vie, pour avoir fini plus vite.

En ce moment, cet être avait l’air d’un enfant.

Du reste, il ne se révélait dans ce logis la présence d’aucun travail ; pas un métier, pas un rouet, pas un outil. Dans un coin quelques ferrailles d’un aspect douteux. C’était cette morne paresse qui suit le désespoir et qui précède l’agonie.

Marius considéra quelque temps cet intérieur funèbre plus effrayant que l’intérieur d’une tombe, car on y sentait remuer l’âme humaine et palpiter la vie.

Le galetas, la cave, la basse fosse où de certains indigents rampent au plus bas de l’édifice social, n’est pas tout à fait le sépulcre, c’en est l’antichambre ; mais, comme ces riches qui étalent leurs plus grandes magnificences à l’entrée de leur palais, il semble que la mort, qui est tout à côté, mette ses plus grandes misères dans ce vestibule.

L’homme s’était tu, la femme ne parlait pas, la jeune fille ne semblait pas respirer. On entendait crier la plume sur le papier.

L’homme grommela, sans cesser d’écrire :

— Canaille ! canaille ! tout est canaille !