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Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/349

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joué ensemble en province. J’ai partagé ses lauriers. Célimène viendrait à mon secours, monsieur ! Elmire ferait l’aumône à Bélisaire ! Mais non, rien ! Et pas un sou dans la maison ! Ma femme malade, pas un sou ! Ma fille dangereusement blessée, pas un sou ! Mon épouse a des étouffements. C’est son âge, et puis le système nerveux s’en est mêlé. Il lui faudrait des secours, et à ma fille aussi ! Mais le médecin ! mais le pharmacien ! comment payer ? pas un liard ! Je m’agenouillerais devant un décime, monsieur ! Voilà où les arts en sont réduits ! Et savez-vous, ma charmante demoiselle, et vous, mon généreux protecteur, savez-vous, vous qui respirez la vertu et la bonté, et qui parfumez cette église où ma pauvre fille en venant faire sa prière vous aperçoit tous les jours ?… Car j’élève mes filles dans la religion, monsieur. Je n’ai pas voulu qu’elles prissent le théâtre. Ah ! les drôlesses ! que je les voie broncher ! Je ne badine pas, moi ! Je leur flanque des bouzins sur l’honneur, sur la morale, sur la vertu ! Demandez-leur. Il faut que ça marche droit. Elles ont un père. Ce ne sont pas de ces malheureuses qui commencent par n’avoir pas de famille et qui finissent par épouser le public. On est mamselle Personne, on devient madame Tout-le-monde. Crebleur ! pas de ça dans la famille Fabantou ! J’entends les éduquer vertueusement, et que ça soit, honnête, et que ça soit gentil, et que ça croie en Dieu ! sacré nom ! — Eh bien, monsieur, mon digne monsieur, savez-vous ce qui va se passer demain ? Demain, c’est le 4 février, le jour fatal, le dernier délai que m’a donné mon propriétaire ; si ce soir je ne l’ai pas payé, demain ma fille aînée, moi, mon épouse avec sa fièvre,