Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/180

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Légion d’honneur, la plaque d’argent du saint-esprit, un gros ventre et un large cordon bleu ; c’était le roi. Hors de Paris, il tenait son chapeau à plumes blanches sur ses genoux emmaillottés de hautes guêtres anglaises ; quand il rentrait dans la ville, il mettait son chapeau sur sa tête, saluant peu. Il regardait froidement le peuple, qui le lui rendait. Quand il parut pour la première fois dans le quartier Saint-Marceau, tout son succès fut ce mot d’un faubourien à son camarade : « C’est ce gros-là qui est le gouvernement. »

Cet infaillible passage du roi à la même heure était donc l’événement quotidien du boulevard de l’Hôpital.

Le promeneur à la redingote jaune n’était évidemment pas du quartier, et probablement pas de Paris, car il ignorait ce détail. Lorsqu’à deux heures la voiture royale, entourée d’un escadron de gardes du corps galonnés d’argent, déboucha sur le boulevard, après avoir tourné la Salpêtrière, il parut surpris et presque effrayé. Il n’y avait que lui dans la contre-allée, il se rangea vivement derrière un angle du mur d’enceinte, ce qui n’empêcha pas M. le duc d’Havré de l’apercevoir. M. le duc d’Havré, comme capitaine des gardes de service ce jour-là, était assis dans la voiture vis-à-vis du roi. Il dit à sa majesté : Voilà un homme d’assez mauvaise mine. Des gens de police, qui éclairaient le passage du roi, le remarquèrent également, et l’un d’eux reçut l’ordre de le suivre. Mais l’homme s’enfonça dans les petites rues solitaires du faubourg, et, comme le jour commençait à baisser, l’agent perdit sa trace, ainsi que cela est constaté par un rapport adressé le soir même à M. le comte Anglès, ministre d’état, préfet de police.