Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/367

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à cause du rideau de serge, mais il avait une voix douce et un peu grêle, qu’elles étaient parvenues à reconnaître et à distinguer. Il avait été mousquetaire ; et puis on le disait fort coquet, fort bien coiffé avec de beaux cheveux châtains arrangés en rouleau autour de la tête, et qu’il avait une large ceinture de moire magnifique, et que sa soutane noire était coupée le plus élégamment du monde. Il occupait fort toutes ces imaginations de seize ans.

Aucun bruit du dehors ne pénétrait dans le couvent. Cependant il y eut une année où le son d’une flûte y parvint. Ce fut un événement, et les pensionnaires d’alors s’en souviennent encore.

C’était une flûte dont quelqu’un jouait dans le voisinage. Cette flûte jouait toujours le même air, un air aujourd’hui bien lointain : Ma Zétulbé, viens régner sur mon âme, et on l’entendait deux ou trois fois dans la journée. Les jeunes filles passaient des heures à écouter, les mères vocales étaient bouleversées, les cervelles travaillaient, les punitions pleuvaient. Cela dura plusieurs mois. Les pensionnaires étaient toutes plus ou moins amoureuses du musicien inconnu. Chacune se rêvait Zétulbé. Le bruit de flûte venait du côté de la rue Droit-Mur ; elles auraient tout donné, tout compromis, tout tenté, pour voir, ne fût-ce qu’une seconde, pour entrevoir, pour apercevoir, le « jeune homme » qui jouait si délicieusement de cette flûte et qui, sans s’en douter, jouait en même temps de toutes ces âmes. Il y en eut qui s’échappèrent par une porte de service et qui montèrent au troisième sur la rue Droit-Mur, afin d’essayer de voir par les jours de souffrance. Impossible. Une alla jus-