Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/160

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béatitude idiote ces gaudrioles chantées par des spectres.

Toutes les détresses étaient dans ce cortége comme un chaos ; il y avait là l’angle facial de toutes les bêtes, des vieillards, des adolescents, des crânes nus, des barbes grises, des monstruosités cyniques, des résignations hargneuses, des rictus sauvages, des attitudes insensées, des groins coiffés de casquettes, des espèces de têtes de jeunes filles avec des tire-bouchons sur les tempes, des visages enfantins et, à cause de cela, horribles, de maigres faces de squelettes auxquelles il ne manquait que la mort. On voyait sur la première voiture un nègre, qui, peut-être, avait été esclave et qui pouvait comparer les chaînes. L’effrayant niveau d’en bas, la honte, avait passé sur ces fronts ; à ce degré d’abaissement, les dernières transformations étaient subies par tous dans les dernières profondeurs ; et l’ignorance changée en hébétement était l’égale de l’intelligence changée en désespoir. Pas de choix possible entre ces hommes qui apparaissaient aux regards comme l’élite de la boue. Il était clair que l’ordonnateur quelconque de cette procession immonde ne les avait pas classés. Ces êtres avaient été liés et accouplés pêle-mêle, dans le désordre alphabétique probablement, et chargés au hasard sur ces voitures. Cependant des horreurs groupées finissent toujours par dégager une résultante ; toute addition de malheureux donne un total ; il sortait de chaque chaîne une âme commune, et chaque charretée avait sa physionomie. À côté de celle qui chantait, il y en avait une qui hurlait ; une troisième mendiait ; on en voyait une qui grinçait des dents ; une autre menaçait les passants, une autre blas-