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Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/189

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Marius était de ces tempéraments qui s’enfoncent dans le chagrin et qui y séjournent ; Cosette était de ceux qui s’y plongent et qui en sortent.

Cosette du reste traversait ce moment dangereux, phase fatale de la rêverie féminine abandonnée à elle-même, où le cœur d’une jeune fille isolée ressemble à ces vrilles de la vigne qui s’accrochent, selon le hasard, au chapiteau d’une colonne de marbre ou au poteau d’un cabaret. Moment rapide et décisif, critique pour toute orpheline, qu’elle soit pauvre ou qu’elle soit riche, car la richesse ne défend pas du mauvais choix ; on se mésallie très haut ; la vraie mésalliance est celle des âmes ; et, de même que plus d’un jeune homme inconnu, sans nom, sans naissance, sans fortune, est un chapiteau de marbre qui soutient un temple de grands sentiments et de grandes idées, de même tel homme du monde, satisfait et opulent, qui a des bottes polies et des paroles vernies, si l’on regarde, non le dehors, mais le dedans, c’est-à-dire ce qui est réservé à la femme, n’est autre chose qu’un soliveau stupide obscurément hanté par les passions violentes, immondes et avinées ; le poteau d’un cabaret.

Qu’y avait-il dans l’âme de Cosette ? De la passion calmée ou endormie ; de l’amour à l’état flottant ; quelque chose qui était limpide, brillant, trouble à une certaine profondeur, sombre plus bas. L’image du bel officier se reflétait à la surface. Y avait-il un souvenir au fond ? — tout au fond ? — Peut-être. Cosette ne savait pas.

Il survint un incident singulier.