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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

Lorsqu’il y a trente-quatre ans le narrateur de cette grave et sombre histoire introduisait au milieu d’un ouvrage écrit dans le même but que celui-ci[1] un voleur parlant argot, il y eut ébahissement et clameur. — Quoi ! comment ! l’argot ? Mais l’argot est affreux ! mais c’est la langue des chiourmes, des bagnes, des prisons, de tout ce que la société a de plus abominable ! etc., etc., etc.

Nous n’avons jamais compris ce genre d’objections.

Depuis, deux puissants romanciers, dont l’un est un profond observateur du cœur humain, l’autre un intrépide ami du peuple, Balzac et Eugène Süe, ayant fait parler des bandits dans leur langue naturelle comme l’avait fait en 1828 l’auteur du Dernier jour d’un condamné, les mêmes réclamations se sont élevées. On a répété : — Que nous veulent les écrivains avec ce révoltant patois ? l’argot est odieux ! l’argot fait frémir !

Qui le nie ? Sans doute.

Lorsqu’il s’agit de sonder une plaie, un gouffre ou une société, depuis quand est-ce un tort de descendre trop avant, d’aller au fond ? Nous avions toujours pensé que c’était quelquefois un acte de courage, et tout au moins une action simple et utile, digne de l’attention sympathique que mérite le devoir accepté et accompli. Ne pas tout explorer, ne pas tout étudier, s’arrêter en chemin, pourquoi ? S’arrêter est le fait de la sonde et non du sondeur.

Certes, aller chercher dans les bas-fonds de l’ordre social, là où la terre finit et où la boue commence, fouiller

  1. Le dernier Jour d’un Condamné.